Alain GHERSEN-GORIN : Clément Rosset et la philosophie

Clément Rosset (1939-2018) est un philosophe français qui a développé une pensée qualifiée par lui-même de tragique : l’objectif de cette thèse est de mieux en comprendre les tenants et les aboutissants. Après une biographie de l’auteur et une présentation de sa méthode et de son style d’écriture, ce travail se déploie en trois chapitres : le tragique, le réel et la joie qui font partie des thèmes cardinaux de la pensée de Rosset. Le caractère tragique de l’existence irrigue l’ensemble de la pensée. Après avoir resitué dans l’histoire des idées la place qu’occupe la tragédie, on en précisera les enjeux philosophiques tels qu’ils sont analysés par Nietzsche dans La naissance de la tragédie, dont Rosset est fortement inspiré.

Puis, on examinera le tragique tel qu’il est conçu dans sa pensée : un sentiment issu généralement d’une confrontation à un moment dramatique et que Rosset analyse dans la pureté de sa réception, c’est-à-dire avant que ce moment soit refusé et pris en charge par une pensée morale.

On terminera la partie consacrée au tragique en examinant en quoi le réel est par nature cruel, indigeste pour l’esprit humain, tant sur le plan affectif qu’intellectuel. La cruauté a priori du réel ouvre une réflexion sur le réel lui-même et l’ontologie de Rosset. L’approche du réel que propose le philosophe se caractérise d’abord par l’intégration du hasard en tant qu’élément venant justifier pourquoi le réel est essentiellement imprévisible.

Contrairement à ce que considère la pensée commune, le hasard s’inscrit pleinement dans la nécessité, la part de la nécessité qui dépasse la capacité de prédiction, voire de compréhension, de la conscience humaine. Ainsi le hasard tend à s’opposer à l’idée de nature comme ordre imposant ses lois à la réalité qui la rend potentiellement prévisible. Devant l’incertitude contenue dans le réel et rendant celui-ci irrémédiablement inconfortable, l’esprit a tendance à se représenter le réel tel qu’il n’est pas, en procédant à ce que Rosset appelle son dédoublement. Le dédoublement du réel, élément le plus original de l’œuvre, s’opère lorsque le réel devient trop déplaisant pour la conscience. Avec la production du double, qui peut être dictée selon plusieurs motifs dont le dénominateur commun est une inacceptation du réel en l’état, le contact avec la réalité est modifié au point de conditionner une attitude en inadéquation avec elle. Après l’analyse de l’illusion telle que la conçoit Rosset au travers de la figure du double, nous terminerons notre étude par la joie qui est un autre élément essentiel de la pensée de Rosset.

Malgré la tristesse ou le désespoir que devraient a priori provoquer l’incertitude du hasard et la cruauté du tragique, Rosset observe que la joie demeure un sentiment largement partagé parmi les hommes. Selon lui, cela s’explique par le fait que c’est précisément le tragique qui, contre toute attente, suscite la joie : celle-ci est une manière d’être au monde dans laquelle ce dernier est admis sans réserve.

La prise de conscience du caractère tragique de la vie la montre comme quelque chose d’éphémère et de rare, et c’est précisément ce sentiment de rareté qui lui donne sa valeur éthique. L’examen de la joie rossétienne se conclut par une analyse de l’humour, comme prolongement de la joie, et que Rosset pratique avec constance tout au long de son œuvre comme une manière particulièrement révélatrice d’observer le réel.

S’appuyant sur certaines thématiques étudiées au cours des différents chapitres, la conclusion apporte des éléments de réponse à la question sous-tendue par le titre de la présente étude, Clément Rosset et la philosophie : ces éléments de réponse apportent un éclairage sur ce que peut signifier l’intégration du tragique dans une démarche philosophique qui cherche autant la vérité que la sagesse.