« D’où parles-tu, camarade ? » : penser les lieux privilégiés d’énonciation avec/contre Jacques Rancière

La question de la prise de parole, et en particulier de la prise de parole de celles et ceux qui ne sont pas autorisé·es à parler, joue un rôle central dans la pensée de la démocratie développée par Jacques Rancière, dès La nuit des prolétaires, puis de manière plus nette encore dans La Mésentente. Cette intervention vise à interroger les liens entre prise de parole et démocratie chez Jacques Rancière, en réfléchissant plus précisément à l’idée de lieux privilégiés d’énonciation.

Cette idée de lieux privilégiés de l’énonciation occupe largement les débats contemporains. On peut songer notamment aux revendications – très largement héritées des années 70 – des groupes opprimés de développer une parole en première personne au sujet de leur oppression. Ces revendications reposent sur l’affirmation d’une légitimité supérieure – à la fois politique et épistémologique – à parler à partir d’un certain lieu d’énonciation. Pour autant, l’idée selon laquelle il y aurait des lieux privilégiés d’énonciation à partir desquels développer une parole politique ou tenir un certain discours demande à être précisée. Quels sont ces lieux privilégiés d’énonciation ? : sont-ils définis par l’identité sociale des locuteur·ices, par le lieu depuis lequel iels parlent ou par le groupe social au nom duquel iels s’expriment ? Que signifie de plus « parler depuis un lieu », et quel type de légitimité l’appartenance à un certain espace social nous donne-t-elle ? Cette légitimité est-elle limitée à un certain type de discours – par exemple un discours de type testimonial – ou vaut-elle quel que soit le contenu de la prise de parole ? Enfin, est-ce qu’affirmer l’existence de lieux privilégiés d’énonciation signifie nécessairement la thèse selon laquelle une parole inaudible est toujours légitime ?